LOGAN DOBBS

>> let my dream come true <<

« Les enfants ne rentrent pas avant deux heures. » Elle s’avance souriante et s’assoit sur le bord du canapé à côté de moi. Samedi après-midi. La boutique de plongée et fermé, je ne travaille pas, elle non plus. Et les enfants sont à leur cours de danse pour l’une et football pour l’autre. Je souris à mon tour, passant mon bras autour de son corps mince. « On a largement le temps pour en faire un troisième ! » m’exclamais-je en l’attirant contre moi. Ma main se ballade sur son corps alors qu’elle se hisse sur mes genoux. Ses lèvres goutent aux miennes avec passion et violence. Sa main déboutonne ma chemise, ses doigts parcours mon torse… Et ses lèvres les suivent jusqu’à mon bas ventre. J’aime cette femme, j’aime ce qu’elle me fait. J’aime l’effet qu’elle a sur moi. J’aime sa façon d’être. J’aime son naturel. J’aime son sourire. J’aime son parfum. Je l’aime. Sa main agrippe la mienne et ses lèvres retrouvent les miennes. « Je t’aime Carolyna. » Ca me semble si important qu’elle le sache. « Je sais. » On se laisse aller, on se goute. Il n’y a rien d’autre que nous. Nous, nous et nous.


Je suis en nage dans mon lit. Terrifié. Emerveillé. Encore conquis parce que je viens de vivre et déçu de revenir si tôt à la réalité. J’aimerais ne plus vivre. Ma vie est si terne à côté de ce que je vis quant je ferme les yeux. Je cligne des paupières, me masse le front de la main valide qu’il ma reste et laisse échapper un profond soupire. J’aimerais y retourner immédiatement. J’aimerais ne jamais la quitter. Je pourrais passer des heures et des heures à ses côtés. Je pourrais passer ma vie entière avec elle. Mais je ne peux pas… Je ne peux pas sans ces fichues pilules. Instinctivement, je porte ma main vers la table de chevet et tâte. Je finis par choper la boite de comprimés. Vide. Je l’envoie valser à l’autre beau de la pièce, laisse échapper un grognement de rage. Je ferme les yeux, repense à ce que je viens de vivre et tente de me calmer. Quant j’ouvre une nouvelle fois mes paupières, je suis toujours frustré,  mais plus calme. Ma respiration c’est apaisé et je me suis fait à l’idée que j’allais devoir attendre avant de pouvoir la retrouver. Je me redresse sans grande motivation et tend une nouvelle fois main vers la table de chevet, et me saisit cette fois d’un tout autre objet : une prothèse. Je ne la regarde même pas. Je refuse de la regarder. Je la mets, c’est tout, et je me lève silencieux. Je vais dans la salle de bain, sans même jeter un regard à mon reflet, je me lave, comme un automate. La seule chose qui me laisse penser que je ne suis pas une machine à chaque fois que je prends une douche, c’est car la chanson que je chantonne n’est pas la même chaque matin.


La vérité… C’est que j’ai l’impression que ma vie ne rime à rien. J’ai l’impression que tout c’est effondré il y a environ un an. Et cette pilule est comme un miracle pour moi. Un bien fou. Un bien fou qui me fait aussi très mal. C’est vraiment fabuleux de pouvoir faire ce que je veux dans mes rêves, mais c’est à chaque fois plus douloureux de se réveiller et de devoir faire face à la réalité. Mais comparé à tout ce bonheur qu’elle me procure, ce n’est rien. Vraiment rien. Parce que je sais parfaitement, que quoi qu’il arrive, je finirais pas rêver à nouveau, par vivre ma vie, dans mes rêves, comme je l’entends. C’est une drogue. Je le sais. Et je suis accro. Je ne peux plus me passer de ça. Je ne peux plus vivre sans ça. A vrai dire… Je ne pense même plus vivre. Je ne vis plus. Je rêve, constamment. Et quant je ne rêve pas… Je ne suis rien. Rien. Je ne suis que cet homme stupide, effacé, tourmenté, à qui il manque une main. Rien.


La vérité, c’est que ça n’a pas été toujours comme ça. Je suis né il y une trentaine d’année à Johannesburg, en Afrique du Sud d’une mère afro-américaine, maitresse d’école et d’un père médecin humanitaire américain.  Fils unique, jusqu’à ce que mon père décède et que ma mère se mette en ménage avec un autre homme, j’ai eu une enfance heureuse, épanouissante. J’ai grandi, avec l’envie de toujours pouvoir aider les autres, et défendre ceux qui étaient dans le besoin. A mes 18 ans, j’ai quitté Johannesburg pour les Etat-Unis pour vivre ma vie, vivre un rêve et dans l’espoir de trouver quoi faire de ma vie. C’est seulement à mes 20 ans, en rencontrant un sdf qui m’a raconté être un ancien de l’armée que j’ai eu l’envie de porter l’uniforme moi aussi. Je me suis engagé, j’ai suivi une formation de base, et j’ai enchainé avec des cours en plus, sur l’anatomie, la biologie… Et je suis devenu infirmier militaire. J’ai toujours préféré l’urgence du terrain, l’adrénaline… Et je détestais rester à la base, à faire passer es visites médicales ou des examens de routine. Je détestais.  
J’aimais mon métier. J’avais la sensation d’être utile, d’aider, et surtout, s’était un véritable plaisir de sauver des vies. Et véritable bonheur de ce dire que cet homme qui marche devant moi, ne serais peut-être plus en vie si je n’étais pas là. J’étais heureux. Vraiment très heureux. En portant l’uniforme j’ai connu un nombre incalculable de sensation et de sentiment : peur, courage, colère, désir, amour, bonheur, exaltation, fatigue, amitié, rivalité… Et j’étais comblé. Vraiment. J’étais comblé…


Je me tiens derrière le comptoir de la petite boutique de plongée sur je tiens avec un ami. J’attends patiemment que quelqu’un pousse la porte et m’achète quelque chose. J’attends que cette journée de merde prenne fin. J’attends avec impatience de pouvoir rêver. D’ailleurs, si je n’avais pas été à cours de pilule je me serais sans doute pris une pause pour en prendre une et me laisser aller. La porte de la boutique s’ouvre enfin et mon cœur cesse de battre à la vision de la personne qui vient d’entrer. C’est elle. Je repense, aussitôt à tout ce que j’ai déjà partagé avec elle. Je repense aussitôt à notre vie, notre amour, notre famille… Je repense à son sourire, à sa peau, à la perle de sueur sur son nombril après l’amour. Je repense à tout ça et elle s’approche. « Bonjour, est-ce que vous auriez du… euh… de… » Elle semble nerveuse, comme toujours. Elle est toujours nerveuse, et rougissante. Toujours si naturel et c’est ce qui me plait chez elle. Elle regarde un peu partout sauf dans ma direction, et finit par sa pencher vers l’étagère la plus proche et attrape un kit antibuée. Ce genre de truc qu’on vend quant les gens achète un masque de plongée neuf. Elle me sourit. « Je vais prendre ça. » me dit-elle finalement en poussant avec douceur l’objet sur le comptoir dans ma direction. Son regard s’arrête et je sens ses yeux percer ma main, celle que je n’ai plus, celle qui est remplacé par une prothèse. Tout le monde fait ça. Tout le monde fait toujours ça. Les gens fixent ma prothèse. Et ça me met terriblement mal à l’aise, ça me rend fou, ça m’énerve. Comme si j’avais besoin de leur regard pour me rappeler que j’ai perdu ma main et qu’on la remplacé par un putain de morceau de plastique. « Je peux vous demandez un truc ? » Elle lève enfin les yeux de ma main et plonge son regard dans le mien, j’hoche la tête même si je sais exactement ce qu’elle va me demander. Elle va me demander comment j’ai perdu ma main. Et je vais me contenter de faire comme je fais avec tous les autres... Mentir, ou bien simplement ne pas répondre. Parce que je n’aime pas raconter cette histoire. Je n’aime pas me souvenir de ma main déchiqueté pendouillant au bout de mon bras. Je n’aime me souvenir de la douleur et de la folie. Mauvais souvenir. « Non, rien laissez tomber. » Elle baisse les yeux et me paye sans dire un mot de plus. Chaque semaine… Elle vient. Chaque semaine elle m’achète un truc. Elle doit vraiment être accro à la plongée. J’ai un moment pensé que peut-être… Ce n’était pas la plongée qui l’attiré, mais je me suis dis que cette pensée était absurde. Elle est jeune et jolie, sans doute intelligente. Et une fille comme ça, ça n’est pas attiré par un pauvre type comme moi… Seulement dans mes rêves.