Cassidy Joy Parker

>> let my dream come true <<

Je passe une main dans ma chevelure blonde, et finis par pénétrer dans l’ascenseur. J’appuie sans attendre sur le bouton numéro trois, et me mordille la lèvre, priant pour qu’il n’y ait pas d’incidents techniques, ou quelque chose dans ce genre là. Ouais, je ne suis pas une grande fanatique de ce genre d’appareil, j’ai, à chaque fois, l’horrible sensation que je vais étouffer, et j’espère ne jamais me retrouver coincée là-dedans. Au bout de quelques longues minutes, je suis enfin libérée de cette cage, et je me dirige donc vers une infirmière, qui se trouve un peu plus loin, dans le couloir. Je la salue poliment, lui adressant même un sourire amical, avant d’engager véritablement la conversation.

« Alors, comment se porte-t-elle aujourd’hui ? Des améliorations, peut-être ? »
« Pas vraiment. Elle n’est pas dans un bon jour, elle ne veut rien faire, elle ne veut voir personne, elle s’est même montrée violente avec l’une de mes collègues. Je suis désolée Mademoiselle Parker, mais je crains que… »

Bien que mon sourire ait rapidement disparu, je ne veux pas baisser les bras, j’ai besoin de la voir, de lui raconter ma journée, mes petits tracas,… En aucun cas, je ne souhaite que l’on me dise de repasser plus tard, quand elle sera de meilleur humeur, ou peut-être lucide, alors je décide de couper l’infirmière et de déclarer, légèrement agacée :

« Non. Pas question. Je ne pars pas. Je vais tout de même aller la voir. Pas besoin de m’accompagner, je connais le chemin… »

Je jette un dernier regard à l’infirmière, et avant même qu’elle puisse me répondre, je poursuis mon chemin à travers les couloirs de la maison de repos. Bien évidemment, je suis consciente qu’elle n’est pas responsable de l’état de santé de ma mère, je sais qu’elle fait de son mieux pour nous aider, mais je ne peux pas m’empêcher de décharger sur elle, une part de colère, de frustration même. Cela fait maintenant un peu plus de deux ans que maman est ici, et c’est toujours aussi dur, aussi lourd, de voir à quel point cette fichue maladie a détruit notre lien, notre vie de famille. D’après les spécialistes, il n’y aura pas d’améliorations, il n’y aura pas de miracles, et je suis donc condamnée à regarder maman perdre peu à peu tous ses souvenirs. Pour tout avouer, déjà, la plupart du temps, quand je viens la voir, elle ne sait pas qui je suis, elle pense que je suis juste une bénévole qui vient lui faire la lecture. J’ai appris à vivre avec. Enfin, je crois.
Je chasse ces quelques pensées de mon esprit quand j’arrive devant la porte de sa chambre. Comment va-t-elle se comporter avec moi ? Va-t-elle me jeter dehors ou quelque chose comme cela ? Je ne prends pas la peine de frapper, et entre doucement dans la pièce, posant directement mon regard sur le fauteuil dans lequel elle est installée. Comme à son habitude, elle semble perdue dans ses pensées. Je ne peux m’empêcher de sourire, quand j’aperçois qu’elle tient entre ses mains un album photo, que je lui ai apporté il y a des mois : J’ai longtemps cru que je parviendrai à la guérir, en stimulant sa mémoire avec des images, avec des anecdotes, en lui racontant les meilleurs moments de son existence. Je pousse un léger soupire, et avance lentement vers elle, tout en déboutonnant mon manteau, et en lui lançant calmement :

« Bonjour Miléna. Je suis Cassidy, vous vous souvenez de moi ? Je suis ici pour vous tenir compagnie, je peux vous faire la lecture, jouer aux cartes, ou bien, faire ce que vous voulez. »

Certains médecins m’ont aidé à la comprendre. Ils m’ont appris à la mettre en confiance, ils m’ont donné quelques tuyaux pour que je puisse passer de bons moment avec elle, et j’espère qu’aujourd’hui, je vais parvenir à la mettre à l’aise.
Je m’installe en face d’elle, et lui adresse un sourire chaleureux, tout en posant mon sac à main par terre. Elle ne semble pas savoir ce qu’elle veut, elle n’a pas l’air très à l’aise, et pour couronner le tout, elle me regarde avec un air troublée, tout en serrant l’album photo contre elle. Je ne sais plus trop me comporter avec elle. Je n’ai pas envie de la brusquer, je n’ai pas envie de provoquer une réaction négative ou violente. Je me contente donc de la couver du regard, gardant mon incroyable sourire aux lèvres, et finissant même par lui dire :

« De quoi s’agit-il ? Un album de souvenirs ? Wow… Je peux le regarder ? On pourra peut-être discuter de cela toutes les deux, non ? »

Je tends la main vers elle. Maman semble hésiter. Peut-être a-t-elle peur que je ne lui rende pas, par la suite ? Je persévère, et au bout de quelques secondes, elle finit par se décontracter, me prêtant assez facilement le livre. Je le connais par cœur, mais j’aime me repasser les moments les plus heureux de ma vie, de la sienne aussi.
Tout d’abord, il y a sa rencontre avec papa, alors qu’elle n’était qu’une adolescente. Il était un photographe réputé dans l’industrie de la mode, elle était mannequin pour un grand couturier européen, alors leur rencontre a été inévitable. Un vrai coup de foudre, d’après eux. Ils se sont aimés, ils se sont détestés, ils se sont quittés, ils se sont chamaillés, ils se sont même perdus de vue ; ça a duré des années, et finalement, ils ont fini par comprendre qu’ils ne pouvaient pas vivre l’un sans l’autre, qu’ils étaient des âmes sœurs, en quelques sortes. Et je suis arrivée, un vingt-deux mai, pour leur plus grand bonheur. J’ai été élevé comme une vraie petite princesse. Je n’ai jamais manqué de rien. Ni de jouets, ni d’argent, ni d’amour. Mes parents, malgré leurs occupations, ont toujours pris au sérieux leur rôle, ils n’ont jamais été absents plus d’une semaine, et ils étaient présents à chacun de mes anniversaires, à chaque moment important de ma vie. Maman m’a donné la passion de la danse classique, papa m’a fait découvrir la littérature, et m’a donné le goût des études. J’ai eu une enfance presque parfaite : J’ai découvert le monde, j’ai rencontré des personnalités importantes, et surtout, j’ai toujours été entouré par des personnes aimantes.

« Wow… Vous étiez magnifique en robe de mariée. Vraiment. »

Mes doigts frôlent la photo du mariage de mes parents, et un sourire vient illuminer mon visage. Je me souviens encore de ce jour-là. Tout était si parfait. J’avais dix ans lorsqu’ils ont décidé d’officialiser leur amour devant dieu et tous leurs amis. En réalité, ils désiraient plus que tout que je participe au mariage, que je sois témoin de cet évènement, et c’est d’ailleurs pour cela qu’ils ont attendu aussi longtemps avant de passer à l’acte. C’était, et c’est encore, l’un des plus beaux jours de ma vie : Maman était tellement resplendissante, papa était plus qu’heureux, notre famille vivait un véritable rêve, et oui, je l’avoue, parfois, j’aimerais remonter le temps juste pour revivre une seconde fois cette journée.

Sans d’autres mots, nous continuons de tourner les pages de l’album, passant de mon tout premier spectacle de danse, à mon entrée au lycée de Denver, sans oublier nos nombreux voyages en Grèce, ici même, dans la ville natale de ma mère. A cette époque, mon avenir me semblait déjà tout tracé, et tellement simple : Après ma dernière année, je serais partie à la fac pour étudier le droit, pour envisager une carrière d’avocate, surtout pour faire plaisir à mon père, ensuite, je me serais sans doute mariée avec mon petit-ami, le capitaine de l’équipe de football de l’école, et finalement, j’aurais vécu une existence heureuse, simple, paisible. Malheureusement, tout ne s’est pas passé comme prévu… Le jour du bal de fin d’année, avant même que la fête ne commence, je me suis faite larguée par le quater back, parce que je lui ai appris que j’étais enceinte de lui. Après plus d’un an d’idylle, je pensais recevoir un peu de considération, de compassion, de sa part, mais non, il a préféré fuir. Tout simplement. Au final, je ne me suis même pas rendue à ce fameux bal, je le regrette d’ailleurs. Je n’ai parlé à personne de cette grossesse non-désirée, et j’ai fini par subir un avortement, ne pouvant pas élever ce gamin dans des conditions favorables, et ayant surtout peur de décevoir mes parents. Désormais, j’essaie de ne plus ressasser cette histoire, je tente de passer à autre chose, en me persuadant que j’ai pris la bonne décision, que c’était la seule, la meilleure, solution.
Je me racle légèrement la gorge, et referme l’album photo. Je n’ai pas envie d’aller plus loin. En plus, ça me fait mal de voir que ma mère, malgré les photos, n’arrive pas à se souvenir de moi, ne parvient pas à faire le rapprochement entre la jeune fille blonde sur l’image et moi. Saleté de maladie. Pourquoi est-ce tombé sur maman ? Pourquoi la vie a-t-elle décidé de nous subtiliser de nombreuses années, comme ça ? Je me souviens encore du neuvième anniversaire de leur mariage, c’est à ce moment-là que l’on s’est rendu compte que quelque chose n’allait pas. Que quelque chose ne tournait plus rond. Alors qu’elle devait prononcer un petit discours de remerciement pour les invités, maman a commencé à se perdre dans ses phrases, à ne plus trouver ses mots, et finalement, elle est partie en courant. Un peu plus tôt, elle n’avait déjà pas reconnu l’une de ses cousines, alors tout le monde a commencé à se poser des questions. Et le verdict a fini par tomber, quelques semaines plus tard. Après de nombreuses disputes, après de nombreuses négociations, avec mon père, j’ai fini par gagner le droit de partir vivre en Grèce, dans sa ville natale. Je voulais qu’elle soit heureuse, et je savais pertinemment que son pays lui manquait plus que tout. J’ai tout abandonné pour elle, pour son bien-être. De toute façon, je ne me suis jamais vraiment intéressée à mes études de droit, et j’avais certainement besoin de changer d’air, moi-aussi. J’ai donc recommencé une nouvelle vie ici, achetant un appartement près de la mer, me faisant de nouveaux amis, découvrant bien entendu cette pilule à rêve, et optant, après plusieurs petits jobs, pour la création de ma propre entreprise. Je suis organisatrice de mariages, et d’autres événements, depuis maintenant quelques mois. J’aide les personnes en difficultés grâce à une association, et je passe voir ma mère presque tous les jours dans ce centre de repos. Je crois que je suis plutôt heureuse, malgré tout.

« Voulez-vous aller vous promener maintenant, Madame Parker ? On pourra parler de toutes vos photos, d’accord ? »
« Si cela ne vous dérange pas, mademoiselle… »

Un sourire illumine mon visage d’ange, et je pose alors une main sur la sienne.